Numismatique – La beauté du verbe

Par Ghislain Bouvy

Il nous est apparu intéressant de relever dans le langage de tous les jours les emprunts, souvent inconscients, faits à la numismatique ou au monde de la monnaie en général. Ce sujet avait, en son temps, fait l’objet d’une causerie au Cercle d’Etude de la Numismatique Liégeoise. Nous espérons que les lecteurs de Terre de Durbuy nous en ferons découvrir beaucoup d’autres.

Abaque : latin, abax, table à calcul dont se servaient les trésoriers et les changeurs. (5)

Aes signatum : Premières monnaies romaines, lourds lingots de bronze de 1,5 kg environ avec l’image de sanglier, taureau, épi de blé.

Banque : italien, banca, table de changeur. (5)

Banqueroute : italien, banca rotta, banc rompu, allusion au vieil usage de rompre le banc ou comptoir du banqueroutier. A donné également banquiste, forain se produisant sur la voie publique et vivant de quêtes faites auprès des spectateurs. (5)

Besant : le besant fut une monnaie d’or ou d’argent, frappé à Byzance, qui se répandit dans toute l’Europe au temps des croisades. (1)

Betsales : (bitasales, bèksales, biksales, pètsales, bétales à Liers), wallon liégeois, de l’allemand bezahlen et du néerlandais betalen, sous, argent, de quoi payer. (4)

Bourse : Bruges était au XIVème siècle l’une des places financière les plus importantes d’Europe, et les échanges d’argent s’y faisaient dans le palais de la famille Van den Bursen (parents des Vénitiens Della Borsa), dont la façade était effectivement ornée de trois bourses. C’est de cette époque que le mot Bourse où s’effectuent des transactions financières se différencie de la bourse qui contient la monnaie. (2)

Bure : latin burra, étoffe de laine recouvrant le banc du changeur au moyen-âge, de ce mot bure viendra le mot bureau, et le mot bure gardera même son sens premier dans le mot buraliste, personne préposée à un bureau de payement, de recettes, de poste, etc. (5)

Calcul : latin calculus, caillou (servant à compter entre autre sur des abaques), concrétion pierreuse se formant dans certains organes, calculs aux reins, biliaires.

Capital : latin, capitalisa de caput, la tête. Adjectif, considéré comme essentiel, qui prime tout le reste par son importance. Nom, ensemble des biens monétaires ou autres possédés par une personne ou une entreprise, somme d’argent représentant l’élément principal d’une dette et produisant des intérêts.

Carlin : de l’italien Carlino dérivé de Carlo, vient du nom des pièces d’or et d’argent que fit frapper Charles 1er d’Anjou, roi de Naples.

Cavalerie de Saint Georges : Saint Georges, patron de l’Angleterre, figurait sur le revers de certaines pièces. L’Angleterre, puissance dominante au XIXème siècle, était accusé d’utiliser plus volontiers son argent que ses soldats dans les conflits internationaux, de soudoyer les gens en place dans les pays étrangers. Faire donner la cavalerie de Saint Georges : entretenir un service secret.

Centime de baptême : à l’origine, pièce de deux centimes trouée à l’emporte-pièce et ornée d’un nœud de ruban (rose pour les filles, bleu pour les garçons) et distribuée par le parrain ou la marraine à l’occasion du goûter du baptême aux parents et amis présents. Remplacée par les pièces de 5 et 10 centimes trouées en cupronickel, celles de 1930 à 1932 en maillechort différenciée par une étoile sur le droit eut pour finir la préférence. Coutume disparue aujourd’hui.

Carolus : C’était une monnaie d’argent caractérisée par un K gothique, initiale de Karolus, émise par Charles VIII et valait un dizain ou dix livres tournois. (1)

Corone al vatche : wallon liégeois, écu français de louis XV, dont le différent monétaire était la vache (Symbole du Béarn, atelier de Pau) ; Cette pièce était réputée porter chance, surtout à l’occasion des tirages au sort.

Crésus riche comme Crésus : Crésus, (561-546 av. J. C.) roi de Lydie, richissime par ses mines d’or et son commerce, frappa une des premières monnaies : les créséides.

d. : pour l’abréviation de pence,du latin dénarii, deniers, (depuis 1971, l’abréviation est p.). (3)

Deux têtes de roi ne valent pas une couronne : expression anglaise, des pièces de huit (réales) hispano-américaines à l’effigie de Charles III d’Espagne ont été introduites dans la circulation monétaire anglaise après avoir été contremarquées à l’effigie de Georges III. Cependant, leur poids étant inférieur à celui de la couronne anglaise contremarquée, elles étaient acceptées pour la valeur de quatre shillings et neuf pences, alors que la couronne valait cinq shillings. D’où, malgré les deux têtes de roi se trouvant sur la pièce de huit, celle-ci ne valait quand même pas une couronne (crown).

Dinar : denier, du latin denarius, (Algérie, Irak, Jordanie, Koweït, Libye, Tunisie, Yémen, Bosnie Herzégovine, Croatie).

Dollar : étym., thaler, daldre, daller.

Drachme : monnaie d’argent grecque censée représenter la valeur d’une « poignée » (drax) de 6 broches d’où l’équivalence 1 obole = 1/6 de drachme. (2)

Ducat : italien ducato, monnaie d’or à l’effigie d’un duc, doge de Venise.

Ducaton : de ducat, ancienne monnaie d’argent frappée pour la première fois par Charles Quint en Italie.

Echiquier : abaque servant au jet des jetons, servant à compter.

Chancelier de lEchiquier : ministre des finances en Angleterre.

Franc : Denier d’or frappé en 1360 pour payer la rançon de Jean le Bon, captif des anglais, représenté sur l’avers par un cavalier franc, c’est à dire libre, alors que le roi était prisonnier. Cet ancêtre d’une longue lignée de francs est appelée franc à cheval par les numismates, pour le différencier du franc assis et du franc à pied. (3)

Jeton : à l’origine, objet monétiforme de métal vil servant à compter, il était jeté sur un abaque ou un échiquier.

Jouer à pile ou face : Jeu de hasard. Les pièces de monnaies avaient d’un côté le portrait – face – et de l’autre le coin fixe de la frappe – pile. Jouer à pile ou face consiste donc à jeter la pièce en l’air et de voir après sa chute aléatoire de voir le côté exposé, ceci bien sur après avoir parié sur l’un ou l’autre côté.

Faux jeton / faux comme un jeton : les jetons sont à l’image du type monétaire qu’ils servent à compter, d’où escroquerie facilitée. Ces jetons pour cette raison étaient légendés explicitement, « je suis de laiton à jeter », « je suis faux et de mauvaise nature », « je ne suis pas vrai agnel d’or ». (2)

Gazette : du vénitien, gazzeta, pièce de deux sous, nommée ainsi parce qu’une petite pie (gazza) y était représentée ; le terme a ensuite désigné le journal coûtant deux sous. (3)

Guinée : Nom de la monnaie de compte anglaise (guinéa) valant une livre plus un shilling. A l’origine, les anglais désignaient sous le nom de guinée l’étoffe de coton servant de monnaie dans les échanges avec les autochtones de la Guinée et, plus généralement, de l’Afrique occidentale. Puis, le terme s’appliqua à la pièce d’or représentant la valeur d’un coupon de ladite étoffe, d’autant plus facilement que l’or de cette pièce commença à être frappé en 1663 avec l’or importé de la Guinée. (1)

Kopeck : ça ne vaut pas un kopeck, ça ne vaut rien, centième partie du rouble.

Liard : à l’origine petite pièce de cuivre de trois deniers qui valait le quart d’un sou, aujourd’hui synonyme de très petite somme d’argent, (harder = lésiner, vieilli). (5)

Loger le diable dans sa bourse : au moyen-âge, les pièces de monnaies avait sur la face une croix et l’autre côté étant la pile (jouer à pile ou face), tant que l’on avait une pièce dans sa bourse, on avait une croix. Cette croix empêchait le diable d’entrer dans la bourse. Lorsqu’il venait s’y loger, c’est que la bourse était vide.

Lombard : synonyme d’usurier dès le Xllème siècle, car à l’époque les banquiers Lombard étaient entre autre prêteurs à gages.

Louis : de louis d’or, du nom de Louis XIII pour désigner la pièce à l’effigie du Roi de France, par extension toutes les pièces d’or qui ont suivi à l’exception des Napoléons.

Maille :

    • avoir maille à partir, la maille est à l’époque la plus petite monnaie en cours et la partager (partir) était donc impossible, d’où il fallait « se battre » pour l’obtenir.
    • Chercher maille à partir à quelqu’un, idem.
    • N’avoir ni sou ni maille; n’avoir pas d’argent du tout.

Maravédis, ne pas avoir un maravédis : c’est être sans le sou. Le maravédis était en effet une petite monnaie de billon espagnol en usage au XIIème siècle. (1)

Médaille : du l’italien medaglia, emprunté au latin médiéval medalia, en français maille, qui désigne au moyen-âge le demi denier, ou obole, il passe de ces petites pièces sans valeur tombées en désuétude à la désignation des monnaies anciennes que l’on commence à collectionner dès le milieu du XIVème siècle. Et par là, à la médaille proprement dite. (2)

Médaillon : multiple exceptionnel réservé à des offrandes ou des cadeaux dans la Rome antique, (quadruple sesterce, quintuple et décuple solidi, …).

Méreau : pseudo monnaie émise par des villes, des communautés religieuses ou des corporations et dont les autorités toléraient la circulation à l’échelon local.

Monnaie : du latin moneta, de monere = avertir, Junon Moneta ainsi nommée car elle avait averti le peuple romain de certaines calamités. C’est dans son temple que fut créé le premier atelier des monnaies chez les romains.

Monnaie de nécessité : monnaie en métal vil, (fer blanc, aluminium, zinc, plus rarement en laiton ou en cupronickel), frappée par des autorités locales pour pallier le manque de monnaies de billon. Ce phénomène fut courant dans des périodes troubles comme les guerres ou les périodes de récession économique. Les monnaies sont frappées par des villes et des industriels, particulièrement en Allemagne de 1914 à 1922 et par des municipalités et des chambres de commerce en France de 1919 à 1922.

Monnaie de singe : au moyen-âge, lorsque les montreurs de singes savants passaient un octroi (porte, pont, péage), ils faisaient leurs tours avec leur animal savant (singe, chien dansant …) et ils étaient quitte de tout droit et recevaient à cette occasion un méreau spécial au type du singe. Monnaie de singe veut donc dire être payé par une pirouette, une grimace, un tour. (N et C 150/26)

N’avoir ni croix ni pile : dans le temps les pièces françaises avaient d’un côté une croix et l’autre était appelée pile, n’avoir ni croix ni pile voulait simplement dire ne pas avoir d’argent.

Napoléon : pièce d’or de 20 francs frappée la première fois sous Napoléon Bonaparte, puis son neveu Napoléon III. Par extension, les pièces d’or de 20 francs cotées en Bourse.

Nickel : « Quand il lâche un nickel on entend beugler le bison », expression US voulant dire « avare », nickel égal une dime (dix cents en nickel) portant au droit un bison.

Notgeld : allemand, monnaie de nécessité.

Numismatique : du grec nomos, la loi, formé sur le nom même de la monnaie grecque, nomisma, car la monnaie n’est pas un produit de la nature mais bien de la loi – Aristote, (2), nummus en latin.

Nummulite : du latin nummus, pièce de monnaie, protozoaire fossile du début du tertiaire, dont le test calcaire de forme lenticulaire ressemble à une monnaie.

Obole : Aristote rapporte la tradition selon laquelle le roi d’Argos Phidon, lorsqu’il introduisit la monnaie d’argent dans le Péloponnèse, avait consacré dans le temple d’Héra les broches de fer (obéliskoï de obélos, broche d’où plus tard obole), qui servaient auparavant aux échanges. (2)

Obole de Charon : plus petite pièce d’argent dans la Grèce antique, déposée dans la bouche des défunts avant leur mise en terre. Cette coutume avait pour raison de permettre au défont de pouvoir payer la traversée du fleuve (Styx) au gardien (chien Charon) des enfers dans la mythologie grecque. Coutume qui perdurera jusqu’au VIIIème siècle dans beaucoup de régions.

Obsidionale : monnaie frappée par des villes assiégées pour subvenir aux pénuries monétaires. (2)

Olibrius : de Olybrius, empereur romain d’Occident, connu pour son caractère prétentieux et stupide.

Pactole : rivière de Lydie, affluent de l’Herme dans laquelle étaient recueillies en abondance des paillettes d’or avec lesquelles forent fabriquées les premières monnaies de l’histoire occidentale.

Parisis : qualificatif de la monnaie des comtes de Paris devenus rois à partir de Hugues Capet, et frappée à Paris, par opposition à la livre de Tours, dite livre tournois. (1)

Pièce de plaisir : multiple monétaire frappé en petites quantités et de valeur élevée pour le plaisir des grands de ce monde (pièces de 8 et 10 louis frappées pour Louis XIII et réservées à sa table de jeu).

Pièce à l’ange : écu français de 6 livres de Louis XVI frappé au revers d’un Génie écrivant la loi que le peuple prit pour un ange (4). Cette pièce est censée porter bonheur, surtout pour le tirage au sort des conscrits.

Pile : latin pila, colonne, côté d’une pièce opposé à la face, et portant généralement l’indication de la valeur de la pièce. (5)

Plaquette : médaille de taille courante, voire importante, mais de forme non circulaire, carrée ou rectangulaire. (2)

Pécuniaire : du latin pecus, le troupeau, et du latin pecunia, richesse en bétail qui finit à partir du IIIème siècle avant J. C. à désigner la richesse monétaire ainsi que la monnaie elle-même. Le souvenir de cette origine pastorale subsiste en ce IIIème siècle sur certains exemplaires de laes signatum représentant un taureau. (2)

s. : pour l’abréviation de shillings; du latin solidi (pièce d’or romaine apparaissant au quatrième siècle). (3)

Salaire : du latin salarium, le sel était à une certaine époque une valeur d’échange et a même été une monnaie sous forme de barre. (N et C 126/27)

Suisse : pas d’argent, pas de Suisse, dicton français. A l’époque, les Suisses sont des mercenaires (donc payés par leurs employeurs). On pourrait traduire ce dicton par « l’argent est le nerf de la guerre ».

Ricougn’ter : wallon liégeois, refaire des coins, battre fausse monnaie.

Sonnant et trébuchant : pièce de bon aloi et de bon poids, bon aloi = son correct au marbre, bon poids = poids correct au trébuchet (balance de changeur au moyen-âge).

Sou : latin, solidus.

    • Pièce de 5 centimes, les cinq sous de Lavarède, une pièce de 5 sous — 25 centimes
    • N’avoir pas le sou, être sans le sou, ne pas avoir un sou vaillant en poche = ne pas avoir d’argent.
    • Epargner sou à sou, par petites sommes.
    • Etre près de ses sous, grippe-sous – avare.
    • De quatre sous, sans valeur.

Talent : latin talentum, grec, talenton, unité de poids et de monnaie, quelqu’un de talentueux est quelqu’un qui est riche de …

Toison d’Or : peau de chèvre ou de mouton que l’on coulait dans le fond de la rivière et qui servait à retenir les paillettes d’or, celle du Pactole était si riche qu’elles donnèrent naissance à la légende de la Toison d’Or, et chez nous, la légende de la chèvre d’Or.

Tune, thune : aumône, en argot du XVIIème siècle, puis en langage populaire du début du XIXème siècle, pièce de 5 francs (argent). De Tunes, forme ancienne de Tunis, le chef des gueux s’appelant « roi de Tunes » par dérision. (1)

Thaler : allemand, Taler de Joachimstahle, région d’Allemagne où furent exploitées des mines d’argent avec lequel furent frappés les dit Thaler. Passera dans l’anglo-saxon sous le nom de dollar.

Bibliographie :

  1. Du nom propre au nom commun, dictionnaire des éponymes, Pierre Germa, éditions Bonneton, Paris, 1993.
  2. La numismatique, Cécile Morrisson, Presses Universitaires de France, Que-sais-je? n° 2638, Paris, 1992.
  3. L’aventure des langues en Occident, Henriette Walter, Robert Laffont, Paris, 1994.
  4. Dictionnaire liégeois, Jean Haust, Vaillant-Carmanne S. A. éditeur, Liège, 1979.
  5. Le petit Larousse, Larousse, Paris, 1993.